Chapitre 31
Impressionnisme
Tospeud sneudto
- Je sentis ses lèvres humides posées sur les miennes. Leur inimitable goût de fraîcheur fit battre à mon petit coeur la chamade de mon amour. C’était l’homme de ma vie, mon âme soeur, la moitié qu’il me manquait pour ne faire qu’un. Il me prit dans ses bras et le contact de sa peau m’enivra de douceur et de tendresse.
- Je t’aime Jak
- Moi aussi je t’aime Melly.
Il m’embrassa une seconde fois, je répondis à son baiser par un plus fougueux.
- Nous allons être en retard, Melly.
Je n’en avais que faire, les cours de potions attendraient bien encore un peu. Nous refîmes une fois de plus l’amour passionnément.
Depuis que nous étions revenus, j’étais une amante insatiable. La puissance du sortilège de Dezmarc avait réussi à briser en partie mon pendentif. Sans lui et la protection qu’il m’apportait, j’aurais fini anéantie, réduite à un petit tas de poussière. Mais cela n’avait pas été sans conséquence. La violence du choc avait été à la hauteur du sorcier. Des cinq petits cercles en diamant qui formaient mon pendentif, deux étaient fendus dans leur diamètre. Les trois autres arrivaient toujours à canaliser plus ou moins mes excès, mais par cette blessure s’échappait un peu la Melly impulsive de mes débuts. Mamie avait l’air de s’en préoccuper. Elle me demandait sans cesse si tout allait bien. Jakob lui en était pleinement satisfait, cette nouvelle petite copine pleine d’ardeur le comblait et pour tout avouer, je ne m’en plaignais pas non plus. Je me sentais moi, entièrement moi, sans tabou ni retenue. Il fallait seulement que je fasse attention à ne pas trop m'emballer lorsque je sentais la colère arriver. D'ailleurs, Cynthia avait bien failli en faire les frais lors du bal de promo. Cette pimbêche avait tenté une fois de plus de m’humilier en renversant son punch sur moi et sans l’intervention avisée de Lyne, elle aurait probablement fini transformée en grenouille.
Ma petite Lyne. Elle non plus n’en était pas ressortie indemne. Elle faisait désormais partie intégrante du monde des enchanteurs. Lors de l’explosion, comme je l’appelais, elle se tenait de l’autre côté du bouclier d'énergie qu’avait déployé mon pendentif : du côté de Dezmarc ! Elle avait été comme irradiée. Toutes ses cellules avaient subi de plein fouet ce trop plein d'énergie magique, et une faible partie de la fameuse lumière était venue se greffer sur elle. Cet influx électromagique avait réencoder son ADN, le transformant en celui d’un enchanteur de façon irrémédiable. C’était un phénomène rare qui arrivait uniquement lorsque la magie était très puissante, selon Don Sperotielli.
Lyne avait eu un peu de mal à s’y faire. Elle aussi était restée inconsciente trois jours durant. Ma mère avait dû inventer un bobard rocambolesque pour ne pas dire la vérité à ses parents. Puis à son réveil elle avait fait comme une sorte de dépression. Elle se sentait changée, déformée, presque salie. Ça ne lui facilitait pas le contrôle de ses nouveaux pouvoirs. Plus d’une fois, il avait fallu que Jakob ou moi, intervinssions pour réparer ses dégâts. Elle s’en voulait aussi beaucoup de ne pas m’avoir comprise plus tôt. Puis sa nature combative avait repris le dessus. Elle était toujours la capitaine des cheerleaders, la Lyne, belle et sexy dont tous les gars du lycée rêvaient d’être le petit ami et la fille populaire dont toutes les filles voulaient être proches. Elle avait donc fini son année scolaire en réussissant ses derniers examens haut la main. Puis elle avait vu les avantages qu’elle pouvait tirer de ses nouvelles capacités, comme convaincre son père de la laisser sortir tranquillement avec Spike ! Elle pouvait désormais se forger un nouvel avenir encore plus beau. Son horizon s’ouvrait sur de nouvelles perspectives toujours plus intéressantes, et pour cela, elle suivait comme nous avec assiduité les cours de magie que prodiguait mamie et les autres enseignants.
La mort de Dezmarc avait déclenché une foule de réactions en chaîne. Bien sûr, le puissant sortilège de mort qu’il destinait à Genna avait bien failli me tuer ! Déchirant mon bouclier, il m’avait propulsée à plusieurs mètres de haut. J’étais retombée lourdement sur le sol, où j’étais restée inconsciente. La force dégagée m’avait comme foudroyée. J’en fus sonnée pendant plusieurs jours. Pourtant, il n’avait fait que ricocher sur la protection qu’offrait mon pendentif ! Le maléfice avait rebondi sur les cinq cercles énergétiques qui s’étaient déployés pour me protéger, puis était reparti illico à l’envoyeur. Dezmarc l’avait pris de plein fouet et n’avait eu que le temps de pousser un petit cri de surprise avant de disparaître anéanti par son incantation. Nous n’avons pas retrouvé son corps. Il avait été totalement désintégré par sa propre force. Ainsi en était-il fini du plus puissant enchanteur que la terre eut porté à notre époque.
Sa mort avait libéré d’un seul coup toute son énergie magique, en une fabuleuse boule de lumière. Elle avait été visible à des kilomètres à la ronde. Tous les médias s’étaient emparés de l’affaire. Des journaux avaient même décrété que les astronautes voyageant à bord de la station spatiale internationale l’avaient aperçue. Bien sûr, ma famille et celle de Jakob avaient fait en sorte qu’aucune trace magique ne reste sur les lieux. Il n'empêche que cela avait drôlement attiré les regards sur les choses étranges de notre monde. Quelques illuminés en avaient profité pour inonder le web de sites aux thèmes ésotériques. Ils y vendaient fausses baguettes magiques, amulettes censées protéger du mauvais oeil et potions diverses et variées. D’autres aux théories plus fumantes encore mettaient tous ces événements sur le compte d'extraterrestres, déclenchant quelques émeutes et psychoses en prime.
Il en résultait que nous devions être encore plus prudents et ne pas utiliser nos pouvoirs magiques en public.
Ce fut le catalyseur, qui finit de décider les plus frileux d’entre nous à accepter de former une société magique. Nous avions désormais plus besoin que jamais d’une solidarité et d’une forte organisation du monde magique.
Ma rencontre avec Dezmarc en avait été le point de départ, donnant somme toute une quelconque valeur à la prophétie. Par moi tout débutait. Fort heureusement pas en me mettant en avant, ni en n’étant pro active comme je le pensais au départ. D’autres se chargeraient de la tâche. La politique n’était toujours pas dans mes cordes, mais cette confrontation avec Dezmarc m’avait ouvert les yeux. Tout n’était pas ou tout noir ou tout blanc. J’avais même douté des bonnes intentions de Bruno Sperotielli. Un jour un peu plus impulsive, je lui en avais fait part. Loin de s’en offusquer, il avait bien ri, pour finalement m’annoncer que comme moi il avait refusé toute implication dans le pouvoir politique de cette nouvelle société d’enchanteurs. En en faisant mon professeur particulier, je lui avais donné l’envie d’enseigner, l’envie de partager son savoir. Il avait fondé et dirigeait avec mamie une nouvelle école de magie. Tous les jeunes enchanteurs pouvaient désormais y venir après l’enseignement « officiel » pour apprendre à maîtriser leurs pouvoirs et des cours du soir étaient proposés aux adultes. Ce petit mélange de population et de génération qui se croisaient dans les salles et les couloirs de la vieille abbaye fortifiée qui abritait notre école était d’un dynamisant intellectuel extraordinaire : un véritable nouveau siècle des Lumières était en train de naître !
Dezmarc avait aussi éveillé en moi des réflexions nouvelles: je le comprenais à présent.
Je comprenais le danger que pouvaient représenter les Moris. Et même si je ne partageais pas son aversion des simples humains, le souvenir de Maria Loreana ne me quittait pas.
Qu’aurais-je fait s’il était arrivé la même chose à ma mère ou à Jakob ? Aurais-je été meilleure ou pire que Dezmarc ? J’étais bien incapable de répondre. Le mal n’était pas toujours du côté où l’on croyait. Le monde lui non plus n’était pas ou tout noir ou tout blanc, mais teinté de millions de nuances de couleurs qu’il nous appartenait d’assembler tels des impressionnistes pour en faire le plus beau des tableaux, notre tableau !
Pour l’heure, les grandes vacances approchaient, et je préférais me délecter de la présence de Jakob avant d’aller profiter de celle de mes amis. Lyne, M.J., Jess, Spike et les autres nous attendaient pour une petite baignade au lac. Et j’espérais bien que cette fois-ci, tout se passerait bien.
Fin du premier tome.
